Auteurs: Frederic Rosiers en Justine Heureux(Forum Advocaten)
En tant que comptable, vous pouvez être confronté à un conflit d’actionnaires ou à un autre litige de droit des sociétés au sein d’une entreprise cliente. Par exemple, les actionnaires ne peuvent plus franchir une porte et un retrait ou une exclusion devient nécessaire ou la confiance de (certains) actionnaires dans le conseil d’administration est perdue.
Dans de telles situations, le comptable de l’entreprise se retrouve souvent dans une position inconfortable.
Typiquement, la personne de contact avec laquelle le comptable a les contacts les plus fréquents (généralement le directeur général ou l’actionnaire majoritaire) a soudain son propre agenda qui peut différer de celui de l’entreprise cliente.
Dans cet article de blog, nous examinons le rôle du comptable dans de tels conflits et les pièges pour le comptable.
Rôle du comptable
Pour de nombreux entrepreneurs, le comptable est un confident qui connaît parfaitement l’entrepreneur et son entreprise. Il n’est donc pas illogique qu’en cas de conflit, l’actionnaire majoritaire demande conseil et assistance au comptable.
Le comptable sert avant tout les intérêts de son client, c’est-à-dire l’entreprise. La société ne peut être assimilée à des actionnaires et des administrateurs dont les intérêts propres ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts de la société et, au contraire, peuvent même entrer en conflit avec eux. Par exemple, un actionnaire majoritaire peut avoir intérêt à prendre des mesures qui affectent négativement la valeur de l’entreprise (et donc des actions) à la lumière d’un projet de rachat d’un actionnaire minoritaire.
En particulier en cas de conflit avec le droit des sociétés, il est crucial que le comptable remplisse son rôle de manière indépendante et neutre dans l’intérêt de son client, c’est-à-dire de l’entreprise. Le conseil d’administration et les actionnaires doivent pouvoir être sûrs que le comptable est impartial et n’a aucun intérêt dans le conflit lui-même. Le comptable ne doit pas seulement être neutre, il doit également s’assurer que les autres aient l’impression qu’il est neutre.
L’un des pièges est que le comptable s’implique activement dans le conflit et tente alors, avec de bonnes intentions, de proposer une solution. Cependant, le comptable peut facilement être brûlé. Après tout, le comptable a généralement construit une relation personnelle avec la personne avec laquelle il a le plus de contacts (administrateur quotidien et/ou actionnaire majoritaire) et toute tentative d’intervention active est vite considérée comme une aide partiale pour cette personne concernée. Le comptable a généralement trop peu d’expérience en matière de conflits pour pouvoir les résoudre de manière adéquate. Dans ce cas, il est important que le comptable conseille aux personnes concernées de demander l’aide d’un autre confident externe.
Qu’en est-il d’un gouvernement divisé ?
L’entreprise cliente est représentée par son organe directeur.
Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles le conseil d’administration ne fonctionne plus de manière adéquate, par exemple lorsqu’il y a deux administrateurs dotés d’un pouvoir de gestion individuel et ayant des intérêts ou des visions contradictoires.
Dans de telles situations, le comptable peut ne plus savoir exactement qui suivre.
En cas de blocage au niveau du conseil d’administration avec des instructions contradictoires, le comptable doit faire preuve de retenue et agir uniquement dans l’intérêt de l’entreprise. Le comptable pourra suggérer qu’une mesure soit prise, comme la nomination d’un administrateur provisoire de l’entreprise si l’impasse ne peut être résolue.
S’il y a un conseil divisé, majorité contre minorité, le comptable doit adhérer aux directives du conseil dans son ensemble.
Questions des actionnaires ou des administrateurs
En outre, les actionnaires ou les administrateurs peuvent faire pression sur le comptable pour obtenir des informations, par exemple à l’approche d’une assemblée générale.
Un administrateur doit recevoir toutes les informations, même s’il est un administrateur minoritaire en conflit avec la majorité des membres du conseil. L’organisme administratif ne peut pas et ne peut pas interdire au comptable de fournir ces informations.
Les actionnaires disposent d’un droit d’inspection et de contrôle si aucun commissaire n’a été nommé (article 3:101 CAC). Aucune condition particulière n’est attachée à l’exercice du pouvoir individuel d’enquête et de contrôle pour un actionnaire. Par exemple, il n’y a pas de condition de participation spécifique pour l’exercice de ce droit. L’actionnaire qui exerce ses pouvoirs individuels d’enquête et de contrôle dispose des mêmes pouvoirs qu’un administrateur de surveillance.
Le comptable travaille pour le compte de l’entreprise et est tenu au secret contractuel. L’organisme administratif fait office d’intermédiaire pour les demandes d’informations.
Si un actionnaire exerce des pouvoirs individuels d’enquête et d’audit, il peut engager le comptable pour avoir un aperçu de la situation financière de l’entreprise. Toutefois, le comptable ne peut partager que les informations pertinentes pour cette autorité et dans les limites de la confidentialité.
Si l’organe directeur demande au comptable de ne pas partager certaines informations, le comptable doit se conformer aux obligations légales et contractuelles en matière de confidentialité. Le comptable ne peut refuser de fournir des informations que si :
ces instructions découlent d’un intérêt légitime de l’entreprise, tel que la protection des données commerciales sensibles ; et fournir ces informations serait contraire aux dispositions légales ou placerait le comptable dans un conflit d’intérêts.
Toutefois, l’actionnaire peut saisir le tribunal des sociétés en cas de litige relatif à l’exercice de ses pouvoirs d’enquête et de contrôle. Le cas échéant, le juge peut obliger l’entreprise à divulguer les informations souhaitées.
Obligations particulières en cas de difficultés financières
Le comptable a une responsabilité particulière lorsqu’une entreprise est en difficulté financière. Un conflit en matière de droit des sociétés peut être la cause ou contribuer à des difficultés financières.
Ici aussi, les intérêts de l’actionnaire majoritaire peuvent entrer en conflit avec les intérêts de l’entreprise et d’autres parties prenantes, comme les créanciers.
L’article XX.23, §3 du Code de droit économique prévoit que le comptable a une obligation de déclaration dès qu’il dispose d’indices selon lesquels la continuité de l’entreprise est menacée. Cela signifie que si le comptable constate des signes de problèmes financiers, il doit signaler cette situation en temps opportun au conseil d’administration ou même au tribunal de l’entreprise.
Le non-respect de cette obligation peut entraîner la responsabilité personnelle du comptable, voire sa responsabilité pénale.
Risque de contrefaçon
Un autre point crucial d’attention est le dépôt des comptes annuels et des procès-verbaux de l’assemblée générale.
Un conflit d’actionnaires peut accroître la pression visant à manipuler les chiffres (en comptabilisant ou non certains éléments) afin que les chiffres ne donnent pas une image fidèle de la réalité. De plus, le comptable est généralement chargé de rédiger les procès-verbaux de l’assemblée annuelle et les rapports. En pratique, il n’est pas rare de travailler avec une assemblée annuelle qui se tient « sur papier ». En cas de conflit d’actionnaires, il n’est pas inconcevable que l’actionnaire minoritaire soit incompris et que des fraudes puissent survenir (si l’assemblée n’a pas effectivement eu lieu, si les procès-verbaux et rapports sont antidatés, etc.).
Le comptable peut se rendre complice de cette fausseté et, le cas échéant, être responsable du préjudice subi par l’actionnaire minoritaire et les tiers.
Le comptable doit donc s’assurer que tous les rapports et procès-verbaux financiers sont exacts et conformes à la réalité. Toute tentative de manipulation doit être activement évitée.
Si un comptable a des indications selon lesquelles certaines données financières sont frauduleuses ou contiennent des informations incorrectes, il a l’obligation légale de le signaler. Cela s’applique quelles que soient les directives du conseil d’administration.
Intérêts conflictuels et responsabilité
Une situation qui peut s’avérer particulièrement complexe se produit lorsque le comptable travaille non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour les actionnaires et/ou les administrateurs eux-mêmes. Dans de tels cas, le comptable peut être amené à faire face à des intérêts conflictuels puisqu’il a non seulement l’entreprise comme client, mais également un ou plusieurs actionnaires et/ou administrateurs.
Les règles déontologiques belges des comptables, fixées dans la loi du 17 mars 2019, stipulent que le comptable doit garantir son indépendance et ne doit pas tolérer de situations de conflit d’intérêts. Cela nécessite que, dans de tels cas, il puisse engager un autre comptable pour garantir son indépendance, ou au moins expliquer clairement à toutes les parties comment il remplira son rôle. Il convient également de faire référence au secret professionnel du comptable tel que prévu à l’article 50 de la loi précitée.
Conclusion
Il est essentiel que le comptable ne se laisse pas conduire par l’actionnaire majoritaire dans un conflit de droit des sociétés, mais agisse strictement dans son cadre professionnel et juridique. En se limitant à son rôle d’expert financier, en restant indépendant et en référant les acteurs, le comptable peut éviter d’être impliqué dans le conflit et d’en voir la responsabilité engagée.
Source : Forum des avocats